dimanche 11 juin 2017

Le livre du handicap

« La vie est un livre blanc que sèment les parents
d’un geste passionné, ils créent un innocent ;
Un sentier souriant s’ouvre devant l’enfant,
mais Nature joue bien mal les désirs et la foi ;
On voudrait la gaité où viennent des abois,
puis défaire la douleur quand s’envole la joie. »


E. Berlherm


d'après 

« Le livre de la vie est le livre suprême
qu’on ne peut ni fermer, ni rouvrir à son choix ;
Le passage attachant ne s’y lit pas deux fois,
mais le feuillet fatal se tourne de lui-même ;
On voudrait revenir à la page où l’on aime,
et la page où l’on meurt est déjà sous vos doigts. »

Lamartine - Le livre de la vie

Yggdrasil


Qui sait que nausée abonde au pied du vieux géant ?
De Frija pour seul voile il ne reste que la nuit.
Je vois le tronc puissant qui jaillit de l’abysse,
Des fenêtres le percent pour scruter le néant.
Je vois dévaster le fût que seule une ombre étaye,
Des vies sans souci riant et par milliards pleurant.
Je vois les poutres maîtresses qui servent de palais,
Des ministres bruyants qui s’aveuglent s’assènent.
Je vois les éoliennes comme modernes girouettes,
De religieux ingénieurs en vantent les prouesses.
Je vois des fleurs qui s’égrènent aux vents de nulle part,
Des mains éparpillant l’allergique pollen.
Je vois dans la verdure que s’accrochent aux mères,
De petits gémissants qui acclament la gifle.
Je vois de maigres rameaux aux feuilles déjà jaunies,
Qui servent de fléaux à ces gamins séniles.
Je vois une badine dressée d’où sort le savoir
De l’élève grinçant la leçon d’une scie.
Je vois des fagots brûlants qui miment un triste jour,
Des feuilles vertes et rousses gémissent d’étincelles.
Je vois de fumants faisceaux qui font mouvoir les ombres,
Des petits yeux avides piquent une lumière froide.
Je vois une ramure où se cache la misère,
D’innombrables mendiants y étendent leurs griffes.
Je vois des branches tronquées quand portent le pain noir,
Des sentes sur le bois mûr les conduisaient au fruit.
Je vois la Nef franche qu’espèrent cent-mille coeurs,
De maints genoux ployés, qui pleurent l’ultime prière?
Je vois de tristes mâts en qui sombre l’espoir,
Des faces que nul ne croit s’y suspendent la nuit.
Qui sait que nausée abonde au pied du vieux géant ?
De Frija pour seule toile il ne reste que la nuit.
Voile...

E. Berlherm

Fable du banquier

ou
Fable du faux-monnayeur

Cent iliens du Pacifique,
Cent pêcheurs fermiers gras et gais,
Trouvant le troc trop classique,
Convertissent en argent nacré
Travail et marchandise.
Avec cent coquillages mensuels
Chacun se trouve fort aise.
L’un d’eux bien avisé,
Sachant compter, se décrète banquier.
Tout travail méritant salaire
Le mien à deux-cents Nacres s’élèvera,
Dit-il à l’entourage.
Personne ne récrimine 
Car le pêcheur n’est pas compteur.
L’hiver n’ayant jamais cours
Au Pacifique,
Mais la pluie étant fort drue,
Un fermier souhaita consolider son toit.
Au banquier il sollicita
Un crédit de mille Nacres
Remboursable en dix saisons.
C’est faisable dit le banquier
Sans balancer.
Sans attendre,
La hutte fut rénovée...
Les quatre-vingt-dix-huit autres compères
Trouvant le procédé fort ingénieux
Se hâtèrent de l’imiter.
Le banquier à ses mots,
Court sur la plage récolter
La monnaie nacrée nécessaire
À son négoce,
Multipliant ainsi par dix sans effort
son trésor.
C’est faisable dit le financier
Aux quatre-vingt-dix-huit gogos.
Je vous prête à vingt pour cent d’intérêt.
Alors, tous de courir sur la plage
Quérir des coquillages,
Halte-là !
Dit le bailleur ;
Les coquillages n’ont plus cours,
Nous sommes passés au tout numérique ;
Il va falloir bosser maintenant.

Éthique : 
Rien ne sert de marner,
Il faut virer le banquier.

E. Berlherm

Dialogue d’une mère avec son enfant imaginaire

Dis maman ! Est-ce que tu m’aimes ?
Je t’aimerais quand je t’aurais conçu, mon enfant,
Pour l’instant, j’aime l’idée de ton existence.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la pensée ?
La mémoire, la perception, l’organisation, la focalisation et bien d’autres choses encore.
J’ouvre les yeux et les oreilles depuis qu’on m’a mis au monde.
Mais je n’y suis pour rien.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la matière ?
Je suis matière, faite d’interactions.
C’est tout ce qui interagit, et dont je peux prendre connaissance.
Tu es une idée dans la matière de ma pensée.
Ma pensée de toi est matière.
La matière est inexplicable, elle existe.
Ce qui est ne s’explique pas, mais ça se casse et se démonte.

Dis maman, qu’est-ce que c’est l’univers ?
Tous les lieux, et
Le lieu de la matière et la matière et l’illusion d’énergie et l’illusion de mouvement et le présent perpétuel qui se modifie sans cesse, et...
C’est Tout, le grand Tout, sans rien d’autre autour.
C’est le grand Objet sans surface extérieur.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la vie ?
Moi, je vis mon enfant.
Toi, tu es une pensée dans ma tête,
Un désir de mon corps.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la mort ?
La mort est la fin de la vie.
Alors tu redeviens une idée dans la mémoire des vivants.

Dis maman, est-ce que ton idée de moi doit mourir ?
Elle mourra avec moi, mon enfant.

Dis maman, qu’est-ce que c’est le monde ?
L’endroit où se dispute la vie.

Dis maman, qu’est-ce que c’est l’argent ?
Un moyen pour échanger des objets.
Un but dans la vie.
Un besoin pour acheter son corps.

Dis maman, pourquoi il y a des pauvres ?
Parce qu’il y a des riches, mon enfant.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la dictature ?
Dis maman, qu’est-ce que c’est la torture ?
Dis maman, qu’est-ce que c’est l’esclavagisme  ?
C’est si je te mets au monde, mon pauvre petit.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la maladie ?
C’est la torture de la nature sur les gens.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la misère ?
C’est quand on court pour survivre et qu’on ne peut pas penser.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la souffrance ?
C’est quand la chair malade rend malade la pensée.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la douleur ?
C’est une sonnerie tellement forte que tu n’entends plus qu’elle.
Tu voudrais l’arracher de toi.
Mais tu n’y arrives pas.

Dis maman, qu’est-ce que c’est Dieu ?
C’est un piège de la pensée pour simple d’esprit.
C’est un conte pour endormir les enfants.
C’est l’ami imaginaire des adultes.

Dis maman, qu’est-ce que c’est l’âme ?
Ce n’est rien mon enfant, rien du tout.
Le corps c’est l’âme.
Mais ce n’est pas une entité, seulement un système continu,
Comme une boule de neige qui roule, grossit, puis s’arrête pour fondre ou se fracasser

Dis maman, qu’est-ce que c’est le paradis ?
Le paradis c’est la carotte divine.
Ça pourrait être la Terre.

Dis maman, qu’est-ce que c’est l’enfer ?
C’est le canon du révolver divin sur notre tête.
C’est le piège du grand Maitre chanteur.
Si tu signes, t’es une lavette, tu n’iras pas au paradis.
Si tu ne signes pas, tu n’iras pas au paradis non plus.
C’est la suite du conte pour faire peur aux enfants.

Dis maman, qu’est-ce que c’est le libre arbitre ?
Le libre arbitre c’est pour te punir.
Si je me trompe dans ta fabrication et ton éducation, c’est toi le coupable.
C’est plus facile et rentable pour la société.

Dis maman, qu’est-ce que c’est la punition ?
C’est apprendre par la crainte au lieu de vivre la joie.
C’est quand on n’aime pas son enfant.
C’est quand on ne sait pas l’éduquer.
C’est quand on ne sait pas la vie.
C’est quand on est submergé.

Dis maman, pourquoi est-ce que je dois vivre ?
Je dois matérialiser l’idée que tu es, mon enfant.
C’est ma torture contre ta torture.

Dis maman, qu’est-ce c’est le mariage ?
Un contrat écrit entre deux personnes devant témoins, mon enfant.

Dis maman, est-ce que je peux signer un contrat ?
Une idée ne peut signer un contrat, cher enfant.

Dis maman, qu’est-ce c’est le jeu ?
Le rêve c’est quand l’esprit et le corps n’ont rien à faire.
Le jeu c’est quand le corps rêve.
Il se secoue pour mettre les idées en place.

Dis maman, qu’est-ce c’est la loterie ?
Je ne sais pas si tu seras bon ou mauvais.
Je ne sais pas si tu seras intelligent ou crétin.
Je ne sais pas si tu seras bien ou mal portant.
Je ne sais pas si tu seras heureux ou malheureux.
Je ne sais pas si tu iras au paradis ou en enfer.
Je ne sais pas...

Dis maman, comment est née mon idée ?
Je ne sais pas, personne ne sait comment naissent les idées.
Un morceau de toi en moi.

Dis maman, est-ce que tu vas m’obliger à naitre ?
J’aimerais expérimenter la maternité, mon enfant.
J’aimerais te pouponner, te sentir, te cajoler.
J’aimerais te consoler, te voir rire, te voir courir.
J’aimerais tant t’avoir en chair et en os
Pour m’accompagner dans la vie que m’a imposée ma mère.

!
Mais, je n’aimerais pas te voir malheureux une seule seconde.
Je ne suis pas un monstre.
Personne ne peut soigner la violence d’une mise au monde.
Je préfère aimer ton idée plutôt que trop aimer mon propre désir de toi.
Alors je ne te créerai pas.
Je n’en ai pas le droit.

Dis maman, est-ce que ta mère est un monstre ?
L’univers ne peut faire de mécanismes allant à l’encontre de ses propres mécanismes.
Personne n’a donc de libre arbitre, enfant de ma pensée.
Le volcan n’est pas un monstre.
Ma mère non plus.
Mais le volcan n’apprend pas...


E. Berlherm

Le Désir, l’Enfant, et l’Intermédiaire

Enfant (inexistant) : « … »

Intermédiaire : « Que veux-tu ? Que dis-tu ? Je n’entends rien ? Ah ! tu n’existes pas ! »

Désir d’Enfant : « Je veux l’Enfant. »

Intermédiaire : « Vos désirs sont-ils des ordres ? »

Désir d’Enfant : « Oui, et mon rôle est de désirer. »

Intermédiaire : « Mon rôle et mon devoir sont de prévenir que tu es dangereux. »

Désir d’Enfant : « Dangereux pour mon hôtesse, je le sais. »

Intermédiaire : « Et tu fais tout pour qu’elle oublie ! Sadique ! »

Désir d’Enfant : « Elle se dit intelligente. Qu’y puis-je ? »

Intermédiaire : « Je vais le lui dire, et je vais aussi lui dire que cela est encore plus dangereux pour l’enfant que pour elle, puisque, là où il n’est pas, il ne risque rien. Il n’y a aucun danger à ne pas créer son existence. Et qu’il est plus facile de ne rien faire que de faire. C’est plus rentable, plus économe en énergie. »

Désir d’Enfant : « Causes toujours, tu ne m’intéresses pas. »

Intermédiaire : « Eh ! Maman !… Elle n’entend rien, que le Désir. »

Intermédiaire : « Eh ! l’Enfant inexistant ! Entends-tu ?… Il n’entend rien non plus. Mais lui, il n’a pas d’oreille, ni de cerveau d’ailleurs. »

Désir d’Enfant : « Je le sais bien. Je sais bien qu’il ne peut refuser. »

Désir d’Enfant : « Je jouis quand il surgit et je crains son arrivée, car je dois m’effacer. Mais je suis beau comme le Phénix… »

Intermédiaire : « Prétentieux ! »

Enfant (contraint d’exister) : « Merde alors ! J’ai pas mon mot à dire… Je suis mis au monde pour servir. Servir de poupon à maman. Servir à expérimenter sa maternité. Servir de fermier à la place du fermier. Servir à payer les dettes parentales et sociales. Servir de bâton de vieillesse. Je suis de la chair à boulot, de la chair à impôt, de la chair à canon. Je sers de rouage social. Je ne veux pas servir. Je ne veux pas être esclave de naissance. Je veux être libre… Non, je ne peux pas ! Alors je veux être stupide. Je ne veux pas comprendre. S’il vous plait, rendez-moi idiot. »

Intermédiaire : « T’as entendu Maman ! Rends-le idiot ton enfant. Ainsi il ne te demandera jamais pourquoi tu l’as contraint d’exister. Et au moins, fais semblant de l’aimer après coup si tu ne peux au moins l’imaginer avant. »

Enfant (contraint d’exister) : « Intermédiaire qu’as-tu fait ? À quoi sers-tu ? »

Intermédiaire : « Personne ne m’interroge. Personne ne m’entend. Qu’y puis-je ? »

Enfant (contraint d’exister) : « La Loi dit que c’est un délit de me faire prendre des risques sans mon consentement. Et que c’est un crime s’ils me conduisent à la mort. Je porte plainte. »

Intermédiaire : « Désolé l’Enfant ! L’Idiotie engendre l’Idiotie. Le Sadisme engendre le Sadisme. L’Intelligence nait mais n’engendre pas. Elle parle dans le vide. Et elle s’éteint. Ne t’inquiètes pas l’Enfant, ils vont te formater au silence, à l’oubli, à l’idiotie. Et plus tard tes Désirs seront des ordres et tu seras esclavagiste à ton tour… »

Désir d’Enfant : « Amen ! Au suivant s’il vous plait. C’est moi le travailleur à la chaine… »

Enfant (idiot contraint au silence par l’Idiot ou le Sadique) : « … » 

E. Berlherm